D'Ambre et de Ténèbres : Chapitre 2
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Chapitre 2
Je tâtai
le haut de mon bras pour la énième fois. La
chose était toujours là. A l’orphelinat, on m’avait toujours dit que
j’étais très probablement née avec cette chose
à l’intérieur de mon bras et qu’il s’agissait « selon toute vraisemblance »
(comme disait notre directrice) d’une malformation de l’os, rien de bien
inquiétant. Sauf que j’étais persuadé que c’était faux. Parce que la chose ne faisait pas parti de moi ;
je le sentais. C’était un corps étrangers qui m’avait été « injecté ».
Story,
mon amie, disait que j’étais avec « ma chose ».
Elle avançait que tant que ça ne me
tuait pas, je devais arrêter d’en être obsédée. Peut être avait-elle raison.
Peut être était-ce la seule chose que je pouvais trouver
« intéressante » dans ma vie monotone d’orpheline.
Sauf
qu’aujourd’hui était un jour plutôt important dans ma petite existence et je
n’avais aucune raison de fixer la chose.
Le seul élément, en vérité, qui me poussait à poser la main dessus, c’était que
l’endroit où elle était logée me
faisait affreusement souffrir. De plus, elle
était étrangement visible aujourd’hui. Beaucoup plus que de coutume, en tout
cas. Je pouvais même apercevoir sa couleur rouge (une illusion ?)- et non
pas blanche comme un os « malformé »- ainsi qu’une drôle de lueur
clignotante (encore une illusion ?).
-Anna !
Appela Story en frappant à la porte. Dépêches-toi, je t’attends !
Ah oui, j’avais
presque oublié. Je décidai de faire passer la chose au second plan et de n’en parler à personne pour le moment.
J’avais assez de chats à fouetter.
Je
baissai ma manche, attachai mes cheveux en queue de cheval haute et sortis de
la salle de bain.
-Tu en
as mis du temps ! Reprocha mon amie. T’étais encore en train
d’admirer ton bras ?
-Oui, avouai-je. Mais ce n’est pas une première. Tu es nerveuse ?
-Un peu.
Mais j’ai vraiment hâte d’être pleinement libre.
Nous
sortîmes de la chambre que nous avions partagée durant tant d’années. Bien
qu’elles aient été ennuyeuses, je n’oublierais jamais mes années à
l’orphelinat.
Beaucoup
d’enfants avaient la chance d’être adoptés mais d’autres atteignaient leur
majorité et devaient quitter l’établissement sans même avoir goûté au plaisir
d’avoir des parents, une famille. Story et moi en faisions parti. Hier, j’avais
atteint mes dix-huit ans et ma meilleure amie les avaient eus un mois plus tôt.
La directrice avait, en effet, accepté qu’elle reste à l’orphelinat le temps
que j’obtienne le droit de partir à mon tour.
Enfant,
Story avait été une fillette espiègle et turbulente qui passait la majeure
partie de son temps en punition. Cela lui avait valu des coups d’œil distants
et désintéressés des couples qui venaient chercher un petit ange à chérir pour
le restant de leur vie. Personne n’avait voulu de Story, la petite diablesse.
Lorsqu’elle
s’était calmée, elle était devenue bien trop âgée pour être facilement adoptée.
Encore, personne n’avait voulu d’elle.
En ce qui me concernait, peut
être que l’étrange couleur de mes cheveux- blanc- avait eu son rôle dans ma
« non-adoption ». Ou peut être que les gens sentaient-ils ma
révulsion secrète à me retrouver chez des étrangers que j’étais sensé appeler
« papa » et « maman »…
Je n’avais jamais voulu être
adoptée. Tout compte fait, mon souhait s’était tout simplement réalisé.
Et aujourd’hui était un grand
jour. Le jour où Story et moi allions quitter le nid, prendre notre envole.
Nous
arrivâmes devant le bureau de Madame
Hopkins, la directrice de l’orphelinat L’Innocence. Alors que j’essayai de la retenir (trop tard), Story
ouvrit la porte et entra sans invitations. Je restai au seuil, hésitante et
confuse.
-Je
constate que tu n’as guère changé tes mauvaises manières, Story. Savais-tu
qu’il fallait toquer, attendre que l’occupant de la pièce t’en donne
l’autorisation et ensuite
entrer ?
-Heu… Excusez-moi, bredouilla mon
amie tout en reculant et fermant la porte.
-Tu
ne changeras jamais, soupirai-je.
-J’ai jamais dit que j’en avais
l’intention ! Rétorqua-t-elle.
Je
frappai puisqu’elle n’avait pas l’air de vouloir se résoudre à le faire.
-Entrez !
Cria Madame Hopkins.
Story
s’empressa d’ouvrir la porte et d’entrer en trombe, ce qui lui valut un regard
foudroyant de la directrice.
-Bah… Vous avez dit
« entrez ». Grommela mon amie.
Mme
Hopkins se contenta de lever les yeux au ciel en soupirant.
-Bien, commença-t-elle.
Aujourd’hui est un grand jour pour vous deux, n’est-ce pas ?
Nous
hochâmes la tête d’un même mouvement.
-Comme
vous le savez, lorsque l’unes de nos filles atteint sa majorité sans avoir
trouvé de foyer, elle est dans l’obligation de quitter l’établissement.
Celui-ci s’engage avec l’aide de l’Etat à lui offrir un logement modeste et une bourse d’un
montant plutôt honorable. Toutes ces mises en place permettent à la jeune femme
de prendre son envole en douceur. Donc, je ne vous apprends rien en vous disant
qu’un compte bancaire a été ouvert pour chacune d’entre vous. Vous recevrez les
cartes et tout le nécessaire par courrier dans un ou deux jour au plus tard. Le
virement de la bourse a été effectué sur lesdits comptes et un petit appartement
vous attend à Golden-City, une ville voisine. Conformément à votre requête,
vous y vivrez toutes les deux en colocataires. Enfin, j’ose dire que vous nous
manquerez et je vous souhaite bonne continuation.
« Oh
là, me suis-je dit. Quel discours ! »
On aurait dit qu’elle l’avait
appris par cœur. Je supposai que c’était plus ou moins (plutôt plus que
moins !) ce qu’elle répétait à chaque départ de filles.
Une fois qu’elle eut terminé de
déverser son flot de paroles, je dis :
-Vous m’aviez dit que vous aviez
quelque chose pour moi.
-C’est exact, répondit-elle en
farfouillant dans un de ses nombreux tiroirs. La voilà. Tiens.
Mme
Hopkins me tendit une enveloppe blanche aux recoins légèrement jaunis, qui ne
semblait pas avoir été ouverte. Mme Hopkins était quelqu’un de confiance malgré
son air toujours distant. Nous remerciâmes notre directrice, qui nous
accompagna jusqu’à la porte de sortie de L’innocence.
Le chauffeur du taxi avait déjà
chargé nos maigres bagages et nous attendait, avachi sur le siège conducteur.
Story et moi prîmes place à
l’arrière.
-Bein,
dis donc ! Lâcha mon amie.
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-T’as pas entendu ?
-Entendu quoi ?
-Mme Hopkins a dit « j’ose dire que vous nous
manquerez ». Elle a dit « j’ose »
comme s’il s’agissait d’une grossièreté !
-Mmh. Fis-je.
-Quoi ? Tu trouves que ça à
dire ?
-Non, souris-je. Mais quand elle
a dit « j’ose », je pense qu’elle faisait allusion à toi. Moi elle
m’aime bien.
-Et donc moi elle me
déteste ?
-J’ai jamais dit ça. J’ai
seulement dit qu’elle m’aimait bien.
-Parce que toi t’es un
ange ? Grogna-t-elle.
Je
ne répondis pas. Tournant la tête vers la fenêtre, je regardai les habitations
défiler devant mes yeux. Je réfléchis ensuite à ce que je ferais lorsque je
serais installée avec Story. Elle
m’avait dit qu’elle aimerait aller à l’université mais moi, quelque chose
m’empêchait de poursuivre dans cette voie. Ça me paressait trop simple. Quelque
chose manquait. C’était comme si j’avais oublié un élément important.
Inconsciemment, je serrai l’enveloppe dans ma main.
Le taxi s’arrêta à un feu rouge.
La curiosité me rongeait ;
j’avais hâte d’ouvrir cette lettre… quand je serais seule.
Une douleur cuisante sur mon
bras, près de mon épaule me rappela que la
chose était toujours présente et n’avait pas l’air d’apprécier que je
l’oublie. Bizarrement, aujourd’hui, plus que n’importe quel autre jour, elle me
gênait. L’envie me démangeait de l’enlever. Mais comment ? Un gémissement
m’échappa.
-Ça va ? S’inquiéta Story.
-Oui, ce n’est rien.
-Ton bras ?
-Oui, répondis-je simplement.
Le
chauffeur continuait sa route, l’air de prendre soin d’ignorer nos
conversations. Cela n’empêchait pas le fait qu’il était là et que sa présence
m’embarrassait. Story sembla comprendre et n’insista pas. Brave jeune fille.
La
voiture bifurqua dans une petite rue sur laquelle s’étendait une lignée
d’immeubles. Le véhicule fut garé sur le trottoir et nous descendîmes du
véhicule. L’homme ouvrit le coffre et nous prîmes chacune notre sac. Le taxis
démarra en vrombissant et disparut au tournant.
Story regarda l’adresse sur les
documents que Mme Hopkins lui avait confiés.
-C’est ici, dit-elle. Troisième
étage, porte 4.
Nous entrâmes dans l’immeuble et
suivîmes les consignes. L’appartement était modeste mais parfaitement adapté à
la cohabitation de deux jeunes filles. Il était constitué d’un salon de petite
taille, d’une cuisine américaine dans les tons rouges qui donnait sur ledit salon,
d’une salle de douche avec toilette et de deux microscopiques chambres. J’en
choisis une au hasard et déposai mon sac sur le lit.
-Je vais prendre une
douche ! Me cria Story.
-Ok ! Répondis-je sur le
même ton.
J’attendis d’entendre l’eau
couler avant d’oser enfin ouvrir l’enveloppe que m’avait donnée Mme Hopkins. Je
la déchirai et en sortis une feuille pliée et un morceau de papier qui semblait
avoir été arraché à un livre.
Je dépliai la lettre et me
plongeai dans la lecture.
« Je suis désolée de t’avoir abandonnée alors que je suis
encore en vie. Dès que tu as ouvert les yeux pour la première fois, je t’avais
aimée. Je t’aime encore, bien sûre, mais je crains que je n’écrive cette lettre
que par culpabilité. Je t’ai aimée Annabelle. Malheureusement, je n’aurais pas
eu la force de supporter de vivre avec toute cette étrangeté. Je crois que ton
monde, celui d’où tu viens, n’est pas fait pour moi. Nous sommes trop
différentes toutes les deux. Et surtout, nous ne venons certainement pas du
même univers. Je ne comprends pas moi-même ce que je dis là. C’est étrange
parce que… je suis ta mère après tout… bien que tu aies soutenu le contraire.
En fait, je ne sais pas trop ce que tu es, ni d’où tu viens… Car, vois-tu, je suis
tombée enceinte de toi alors que je ne pouvais avoir d’enfant et… je n’étais
même pas mariée, ni rien de ce genre. Tu es venu comme ça, sans cause, sans
préalable. Je ne comprends pas. Au début, je me disais que j’avais de la
chance ; j’avais l’impression que ça me rendait spéciale. Mais…
En tout cas, ce n’est pas moi qui t’aie laissée à
l’orphelinat, c’est une vieille femme nommée la Vieille Helen, qui semblait en
savoir long, bien plus que moi, à ton sujet. Après t’avoir laissée, j’ignore
pourquoi, elle a tenté de disparaître et d’effacer ses traces. Elle m’a dit de
faire comme si elle n’avait jamais existée, ni elle, ni toi. J’ai réussi à
retrouver sa nouvelle adresse, je te l’ai écrite sur le bout de papier. Ce
n’est pas très loin de ton orphelinat, si je me rappelle bien. J’ignore si elle
vit toujours là-bas au moment où tu lis cette lettre, ni même si elle est
toujours en vis, d’ailleurs. C’est tout ce que je pouvais faire pour toi. Et je
t’en pris, n’essaies pas de me retrouver. Je souhaite faire une croix sur ce
qui s’est passée cette nuit-là.Désolée,Je t’aime quand même.Sherry »
Contre mon grès, une larme roula
sur ma joue. Je ne comprenais pas à quoi rimait tout ce cirque. Qui était cette
femme, que voulait-elle dire dans cette étrange lettre ? Je ne comprenais rien.
Cependant ma mère, puisque
c’était ainsi qu’elle se qualifiait, m’avait fournie une piste à suivre. La
vérité sur mon passé avant l’orphelinat avait l’air bien plus compliquée que je
ne le pensais.
Je compris soudain que ce que
j’attendais depuis tant d’année, ce que tout au fond de moi je cherchais sans
me l’avouer clairement, ce qui faisait obstacle à la poursuite normale du cours
de ma vie, et ce que je voulais à présent que j’étais « libre ». C’était
clair : comprendre qui j’étais. Mes origines.
Je venais de me forger un but.

Je suis fan de Story !!! Elle me fait penser à quelqu'un que je connais . ;)
RépondreSupprimerShadow.
Haha, ça doit être une personne super ! Je me demandes quel sera ton personnage préféré, au final.
SupprimerMay.
J'en ai aucune idée . Mon cœur balance.
SupprimerShadow.
On verra bien par la suite :p
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